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Interview avec Mme Bouatia-Naji, directrice de recherche, Inserm

Dr Bouatia-Naji est directrice de recherche et travaille au Paris centre de recherche cardiovasculaire à Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (PARCC-Inserm). Elle dirige une équipe de recherche sur la génétique et les mécanismes moléculaires de la SCAD et de la FMD/DMF.

Par: Mariette Sobels et Dr Nabila Bouatia-Naji, 14 septembre 2020

Voici quelques explications sur les études.Vous trouverez plus d’informations dans la rubrique: Recherches

Etude DISCO 1 par l’équipe du Pr. Motreff

Entre 2016 et 2018, un registre a été créé sous la direction du professeur P. Motreff, chef de service cardiologie et maladies vasculaires, CHU Clermont Ferrand. Il répertorie l’ensemble des cas de SCAD ayant eu lieu pendant cette période dans un très grand nombre de services de cardiologie en France.

Peut-être faites-vous partie des plus de 400 patients qui ont été volontaires pour participer à l’étude DISCO.

Les données collectées ont permis de constituer une base de données très complète. Maintenant, on dispose d’une vue plus claire sur la présentation de cette maladie en France. Cette collecte de données a aussi permis de sauver des vies ! La maladie a été mieux prise en charge par l’ensemble des services de cardiologie.

Etude de la carte génétique par l’équipe du Dr. Bouatia-Naji

Dans une étude utilisant un ensemble de données génétiques provenant de cette cohorte française, d’une cohorte britannique, d’une autre américaine et d’une australienne, l’équipe de Dr Bouatia-Naji a identifié une séquence du génome humain qui joue un rôle dans le risque génétique d’être victime d’une SCAD. Cette étude est la première d’un programme de recherche qui cherche à établir la carte génétique de la SCAD. Les connaissances actuelles nous indiquent que les facteurs génétiques qui prédisposent à la SCAD sont nombreux.

Etude DISCO2 coordonnée par Dr Bouatia-Naji et Pr Motreff

Pour cela, une deuxième étude, Disco 2 (coordonnée par Dr Bouatia-Naji et le Pr Motreff), est en cours de constitution depuis 2020. La génétique de la SCAD n’est pas simple, car elle fait intervenir des facteurs génétiques et des événements déclencheurs extérieurs. Pour l’instant le stress (physique ou psychologique) semble être un facteur déclencheur. Nous ignorons pourquoi la SCAD arrive et ne touche pas toutes les femmes stressées : est-ce le stress permanent qui augmente le risque ou s’agit-il d’un stress ponctuel ? Est-ce l’incapacité à gérer le stress qui rend vulnérable ou son intensité ? Pour cela, ces chercheurs français ont besoin de collecter un maximum de données cliniques pour étudier l’ADN et sa réaction aux événements déclencheurs.

Afin de mieux comprendre, nous avons demandé à Mme Bouatia-Naji de nous expliquer de manière plus générale toutes ces recherches génétiques.

Mme Bouatia, autrefois, pour chercher des causes génétiques, on regardait dans la famille d’une personne avec une maladie spécifique, si cette maladie se présentait également chez les frères, sœurs, enfants, parents, grands-parents. Comment cela se passe t’il maintenant ?

Cela reste encore le cas globalement, mais pas pour la SCAD. Autrefois on cherchait à identifier les différences au niveau d’une séquence de l’ADN bien délimitée et qui concerne par exemple un gène en particulier car nous connaissons son rôle dans la fonction du cœur. Mais cette méthode ne fonctionnerait pas pour la SCAD car nous ignorons comment les artères du cœur sans athéromes (lipides accumulés avec de l’inflammation) deviennent fragiles.

Une autre difficulté est l’étude des familles entières sur plusieurs générations. D’une part, il y a les parents des patients, leurs oncles et tantes et leurs grands-parents. S’agissant majoritairement de femmes ayant leurs événements en moyenne vers leurs 45 -50 ans, vous imaginez l’âge des parents et grands-parents, qui peuvent même être déjà décédés. D’autre part, la SCAD reste une maladie mal-connue et même si les générations précédentes ont connu une crise cardiaque, il sera difficile d’établir qu’il se serait agi précisément d’une SCAD. Cela est important en génétique : il faut avoir un diagnostic très précis.

Finalement, il y a les enfants des femmes qui ont eu une SCAD. Ces enfants sont encore trop jeunes pour nous renseigner : ils n’ont pas eu de SCAD eux-mêmes.

En génétique nous devons définir qui est malade et qui ne l’est pas. Ainsi nous traçons la transmission des séquences d’ADN en les mettant en parallèle avec l’information sur leurs états de santé. Or, les enfants d’une patiente âgée d’une cinquantaine d’années auront entre 15 et 25 ans. A cet âge, la SCAD est heureusement très peu observée.

Mais est-ce que cela voudrait dire que ces jeunes femmes sont à risque plus tard ? Dans une vingtaine ou une trentaine d’années ?

Il est encore trop tôt pour le dire. Il faudrait plus d’études. Déjà toutes les personnes vivent dans des circonstances différentes : La jeune femme ne vivra pas dans les mêmes circonstances que sa maman. On peut imaginer qu’elles ont des modes de vie différents.

Une méthode, autrefois souvent utilisée, est l’étude où l’on compare un groupe de patients à des groupes de témoins avec des caractéristiques similaires. Il faudrait pour ce genre d’études un très grand nombre d’ADNs dans les 2 groupes pour être sûrs que les résultats génétiques soient fiables. On parle de plusieurs centaines, idéalement plusieurs milliers de sujets. C’est donc une méthode compliquée à mettre en place. Le résultat de ces limites était que de nombreuses maladies, comme la SCAD ne pouvaient être étudiées au niveau génétique.

Heureusement, les méthodes de la recherche génétique ont beaucoup évolué dans les 20 dernières années, notamment depuis le décodage du génome humain qui est devenu public en 2001. La technologie pour générer des séquences d’ADN à bas coût, couplée à la révolution informatique ont radicalement changé la donne. Depuis seulement quelques années, et grâce à la constitution de cohortes de patients comme DISCO, nous pouvons étudier la génétique de la SCAD de façon optimale.

Effectivement, en ce qui concerne le caractère inconnu de la SCAD, il y a des personnes qui se rendent compte seulement après 10 ou 15 ans que ce qu’elles ont vécu n’est pas juste de la ‘malchance’, un épisode d’angoisse mais bien une crise cardiaque de type SCAD.

C’est seulement depuis moins de six à dix ans que la technologique d’imagerie et les connaissances concernant la SCAD ont véritablement évolué dans la pratique médicale, avec une prise de conscience croissante de la part des cardiologues de l’existence de particularités à rechercher chez les femmes de moins de 60 ans qui font un événement cardiaque. Dans notre laboratoire, nous utilisons des ADNs collectés auprès de patients dont le diagnostic est certain et validé par des cardiologues experts de la SCAD, comme le Pr Motreff, Dr Adlam au Royaume-Uni, Dr Hayes aux Etats-Unis. Nous appliquons des méthodes de la génétique : nous combinons la biologie moléculaire, l’informatique, les mathématiques et les statistiques pour analyser et interpréter les données génétiques et biologiques. Je dirais que c’est un bon moment pour étudier la SCAD : nous sommes optimistes et pensons que nos efforts vont payer !

Vous comparez les personnes malades par rapport aux gens qui ne le sont pas ?

C’est ça. Nous comparons les marqueurs génétiques d’un groupe de patients ayant (eu) une maladie telle que la SCAD, par rapport aux témoins qui sont en bonne santé. Nous utilisons pour cela les informations génétiques détaillées chez ces 2 groupes. Nous générons les cartes génétiques grâce à des puces de génotypage ou bien en séquençant leur ADNs, c’est-à-dire, on lit chacune des lettres A-C-G-T, comme on peut déchiffrer un livre.1 Le problème est que nous ne parlons que partiellement la langue de l’ADN et nous avançons progressivement pour mieux la comprendre. Par exemple, nous pensions jusqu’à il y a moins de 15 ans, que la partie de l’ADN humain qui donne naissance aux protéines est la seule importante dans les maladies. Or, ceci vient du fait que nous n’avions étudié que cette partie de l’ADN par manque de moyens techniques. Maintenant que nous pouvons cartographier l’ADN qui code des protéines et celui qui ne les code pas, et qui correspond à 98% du génome, on sait qu’il est tout aussi important. Et oui, il est très important surtout pour des maladies cardiovasculaires, comme la SCAD. Cet ADN longtemps négligé joue un rôle important pour contrôler où certaines protéines devraient être présentes et où elles ne devraient pas l’être. Par exemple, on sait que notre génome est le même dans le sang, le cerveau, le foie et les artères. Mais, malgré un même programme de base, seulement un programme spécifique du sang, du cerveau, du foie et des artères va être mis en route, et ce, depuis le développement de ces organes dans le ventre de la maman avant la naissance. Nous sommes donc particulièrement intéressés par le cas des artères: quelles sont ces séquences d’ADNs qui permettent de réparer le tissu s’il est endommagé, et comment elles maintiennent sa fonction de contractilité pour faire parvenir le sang et les nutriments vers le cœur.

Dans notre recherche, nous étudions toutes les séquences d’ADNs, celles qui font les protéines et celles qui contrôlent la présence ou l’absence, ainsi que les quantités de ces protéines dans les artères. Nous pensons que les séquences génétiques qui peuvent nous être utiles pour comprendre l’origine génétique de la SCAD sont nombreuses et peuvent toucher plusieurs aspects de la fonction des artères. Un seul facteur génétique n’explique pas tout. Nous savons, à ce stade que ce sont de très nombreux facteurs et il faut continuer nos efforts.

1 Pour rappel : chaque cellule du corps humain possède 22 paires de chromosomes autosomes et 1 paire de chromosomes sexuels. Sur les chromosomes se trouvent les gènes. Un gène est un endroit spécifique d’ADN sur le chromosome avec une fonction spécifique. Ces gènes sont donc des fragments spécifiques et reconnaissables des chromosomes. Les chromosomes se composent donc de spirales de millions de paires de bases (l’ADN) et forment entre 300 et 2500 gènes selon les chromosomes. Donc, du plus petit au plus grand : couples de bases, ADN, gènes, chromosomes.

Donc, si l’on parle de proportions, cela veut dire que ce n’est pas une question blanc et noir, mais qu’il y a des nuances de gris plus ou moins fortes.

Oui, pour donner un exemple : pour l’instant pour la FMD (DMF) et la SCAD, on voit par exemple qu’un gène en particulier qui s’appelle PHACTR1, possède une version particulièrement fréquente chez les patientes atteintes par ces 2 maladies. Mais il y a des personnes malades qui ne portent pas cette version de ce gène, et même des personnes totalement saines et valides qui ont cette version génétique. Cela signifie quoi exactement ? Cela signifie qu’ il ne suffit pas de ce facteur génétique seul, pour déclencher la maladie.

Mais sa présence, couplée à la présence d’autres facteurs génétiques, et aussi à des événements déclencheurs tel le stress, rend le risque de faire une SCAD plus élevé.

De plus, nous savons que cette séquence en particulier change la quantité de protéines dans les artères. Nous avons trouvé que la séquence avec la version A donnait plus de protéines et cela semble constituer un terrain favorable à la FMD et à la SCAD. Ainsi, cette protéine pourrait déstabiliser l’artère mais pour le moment nous n’avons pas encore prouvé cela. Pour ce faire, il faudra développer un modèle, une cellule, ou une souris où cette protéine est présente en quantité et ensuite réaliser des expériences pour comparer si, comme on le pense, cette protéine fragilise les artères. Ce sont des études en cours.

Pourriez-vous décrire comment on pense que les artères sont fragilisées alors ?

Imaginez cette protéine comme une substance, une sorte de ciment qui entoure les artères. Avec l’âge, ou l’influence des hormones, ce ciment devient très fragile et il se dégrade. La majorité des gens vont réparer naturellement leurs artères, d’autres le font moins bien.

Un jour, à cause de la fluctuation des hormones pendant le cycle ou suite à une grossesse, après une période de stress intense ou modéré par exemple, mais qui dure dans le temps, l’artère craque car son ciment n’a pas été renouvelé efficacement. Cela résulte en une blessure et une accumulation de sang coagulé dans l’artère du cœur, ce qui empêche l’irrigation efficace du cœur pendant quelques minutes seulement, mais cela est grave. C’est l’infarctus ou crise cardiaque de type SCAD.

Vous me parlez de stress. Dans les médias on parle parfois de Tako-tsubo. Si j’ai bien compris, il s’agit d’un genre de crise cardiaque spectaculaire, qui survient justement suite à un gros stress émotionnel soudain. Peut-on dire que c’est un type de crise cardiaque apparenté à la SCAD ?

Non, c’est différent de la SCAD. Le mécanisme sous-jacent est différent. Dans le cas du Tako-tsubo, cela se passe au niveau physiologique : il y a une décharge soudaine et massive d’hormones du stress, comparables à l’adrénaline, qui causent un emballement massif du cœur et la crise cardiaque. Cela survient après avoir appris une très mauvaise nouvelle, comme le décès d’un proche. La différence se voit à l’imagerie des artères, qui restent intactes dans le cas du Tako-tsubo alors qu’elles sont très endommagées et déchirées (disséquées) dans la SCAD.

On parle souvent de plusieurs maladies du tissu conjonctif, autrement dit, le tissu qui entoure les organes, comme les artères en lien avec la SCAD. Comme par exemple, des maladies où il y aurait des anomalies de ce ciment, le collagène, qui pourraient être liées à une SCAD.

Le collagène fait partie d’une famille de protéines dont la fonction consiste à donner aux tissus une résistance mécanique à l’étirement. Ce collagène est donc important dans les parois des artères. Dans le groupe des patients SCAD, un lien a été trouvé entre certains gènes et des anomalies dans le collagène. Mais ce qui est important à savoir est que cela reste très rare. En gros, en étudiant des personnes atteintes de maladies extrêmement rares, certaines peuvent, en plus d’une série de problèmes de santé majeurs, faire aussi une SCAD.

J’ai par exemple entendu parler de FMD (DMF) et du syndrome de Marfan et d’Ehlers Danlos. Est-ce le cas aussi de la SCAD ?

Tout à fait, la SCAD et la FMD ont été décrits chez des patients atteints par ces maladies très rares. Il existerait seulement un millier de cas d’Ehlers Danlos vasculaire dans le monde. Or, il y a clairement beaucoup plus de cas de SCAD et de FMD. Ces personnes sont généralement repérées dès leur plus jeune âge et suivies dans le temps. Ce sont des maladies ayant des conséquences sévères et les personnes atteintes ne dépassent que rarement la cinquantaine. Ces syndromes (Marfan, et Ehlers-Danlos) sont très étudiés pour connaitre comment les personnes atteintes peuvent évoluer dans le temps.

Heureusement, ce n’est pas le cas de la SCAD. Les personnes atteintes du syndrome Ehlers-Danlos ou du Marfan, présentent de très nombreuses caractéristiques cliniques en plus des problèmes cardiovasculaires. Ils peuvent être spécialement hyperlaxes, avoir une très grande taille, ou des écarts des yeux typiques. Ces caractéristiques sont diverses et sont résumées sur les sites d’informations pour ces maladies. Quand les artères sont touchées, le syndrome vasculaire provoque une fragilité extrême et les personnes peuvent mourir à n’importe quel moment suite à la rupture de leur aorte, la très grosse artère centrale de notre corps qui commence du cœur et qui se ramifie vers les organes vitaux comme le cerveau (artères cervicales), les reins (artères rénales), les intestins (aorte abdominale) et aussi vers les jambes (artères iliaques).

Dans la littérature scientifique, la SCAD a souvent été étudiée dans le contexte de ces syndromes rares et pendant plusieurs années les médecins pensaient que la SCAD et la FMD étaient des maladies rares. Grâce à nos derniers résultats génétiques notamment, nous avons pu prouver que la majorité de la SCAD n’est pas syndromique et est affectée par des séquences génétiques fréquentes. Il est vraiment important que les patients atteints de la SCAD prennent conscience que seulement dans une toute petite fraction (<1% voire moins), la SCAD est une manifestation d’un syndrome. Dans la majorité écrasante, la SCAD est une crise cardiaque plus fréquente chez les femmes que chez les hommes. Nous continuons à étudier au laboratoire les causes génétiques et non génétiques pour un jour comprendre pourquoi cette maladie se développe chez des femmes en apparente bonne santé.

En savoir plus:

dr Nabila Bouatia:

http://www.nabilabouatianaji.fr/

Prof. Pascal Motreff:

https://www.chu-clermontferrand.fr/Internet/pages/presentation_service/service_323.aspx

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